En 1864, le Colmarien Frédéric Bofinger ouvre un modeste établissement près de la Bastille, à la lisière du Marais et du Faubourg Saint-Antoine, quartiers de prédilection de nombreux Alsaciens depuis le XVIème siècle qui travaillent dans la menuiserie ou l’ébénisterie. Bofinger est la première brasserie parisienne où l’on propose de la bière " à la pompe ". Servie dans des pots en grès que les clients apportent eux-mêmes, avec de la charcuterie et de la choucroute, elle titre entre 18 et 25°. L’annexion par la Prusse de l’Alsace et de la Lorraine provoque un afflux de réfugiés et assure le succès de l’établissement. On y croise le chansonnier Aristide Bruant. Il arrive avec ses propres œufs pour qu’on lui prépare " la plus savoureuse omelette du monde ". En 1919, Bofinger s’agrandit et connaît une rénovation spectaculaire. Banquettes matelassées, miroirs biseautés, jeux de lumières et de peintures, le décor respire la Belle Epoque et la joie de vivre. Les murs chantent l’Art Nouveau, l’Alsace enchantée et libérée. On fait bombance, on rit, on s’amuse. C’est la fête, élégante et colorée. Au début des années 30, à l’occasion d’une nouvelle extension, l’illustrateur Hansi décore un salon du premier étage et réalise l’enseigne bleue de l’extérieur. L’artiste déjeune à la table du Curnonsky, « Prince des gastronomes ». Débarqués des toutes proches gares de Lyon ou d’Austerlitz, des élus politiques de la France radicale, Edouard Herriot en tête, en font leur cantine. Les gouvernements passent comme des plats. Au lendemain de la guerre, Bofinger sommeille. Les années 70 sont celles de la renaissance. De Georges Pompidou à François Mitterrand, la classe politique franchit à nouveau la porte à tambour. Les peintres Arroyo, Chambas, Fromanger, Segui débattent sur l’art, comme outil de transformation sociale. Le 10 mai 1981, François Mitterrand réserve le premier étage pour célébrer son entrée à l’Elysée. Le quartier est à la mode. Les créateurs affluent des rues voisines, Jean-Paul Gaultier, Christian Lacroix, Azzedine Alaïa. L’ouverture de l’Opéra Bastille voit passer des cantatrices, parmi lesquelles Barbra Hendricks. Woody Allen a ses habitudes. De retour sur scène à Bercy, après un long exil en Amérique, Michel Polnareff accorde sa première sortie à Bofinger. Au fil des années ce spécialiste de la cuisine traditionnelle alsacienne peaufine ses recettes et renouvelle régulièrement son menu : choucroute royale, fruits de mer, homard, magret et foie gras de canard s’invitent pour offrir aux clients des plats authentiques qui font de Bofinger une brasserie parisienne incontournable. La pression est toujours là. Sous la coupole animée de la grande salle ou dans les salons plus intimes du premier étage, Bofinger fait toujours mousser l’Histoire.
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