La folie rétro des speakeasies qui touche New York depuis quelques années semble débarquer lentement mais sûrement sur le Vieux Continent. Mais là où les américains rappellent les folles heures de la prohibition en rendant la chose attractive avec des noms de codes (comme à l’Apothéke de Chinatown) ou avec des portes dissimulées dans des boutiques de hot-dog (le très joli Please Don’t Tell, dans l’East Village), les Français préfèrent ne pas compliquer la chose et délaissent la dimension « secret » ou "hors-la-loi" du lieu. Ainsi, il est impossible de louper la petite porte rouge du Little Red Door, rue Charlot, éclairée par les spots d’une façade un brin clinquante dans le très chic quartier du Marais. Avant même de se courber pour se faufiler dans l’entrebâillement de ladite red door, on devine que l’incroyable mixité sociale qui définissait autrefois les speakeasies risque ici d’être réduite à néant. Bingo. À l’intérieur, avec une paire de basket et un t-shirt en V, dans cette atmosphère afterwork (néanmoins agréable et détendue), entre deux costards-cravates trop serrés et quelques robes kitsch, on aurait presque des airs d’étudiant mélenchoniste. Tout autour, la population, à 90% britannique, sirote du scotch ou du bourbon en claquant des doigts alors qu’un groupe de swing New Orleans s’occupe de réchauffer une ambiance tamisée et confinée. Côté musique : très bonne surprise. Ce soir là, Damien Etchegorry, trompettiste évadé du Duke Orchestra de Laurent Mignard, emmène un quartet parcourant le répertoire des années 1920 et 1930 avec brio. La chose s’annonce alors plutôt bien. Au bar, les waiters, qui alignent laborieusement deux mots de français, semblent pour le moins sympathiques et d’un professionnalisme irréprochable. L’un d’entre eux, blond, cheveux longs, fait des clins d’œil et d’étranges bruits labiaux. « Tiens, tiens, un Brice de Nice au comptoir », se dit-on. Ou encore le blond de Gad Elmaleh dans le rôle d’un barman : de quoi nous distraire en attendant un cocktail soigneusement préparé, la spécialité du lieu. D’ailleurs, contentez-vous en. Délaissez les médiocres vins surestimés (8 € le verre) ou les assiettes apéro désastreuses à 20 € — du genre knackis-macaronis déguisés sur leur trente-et-un. Pour les cocktails, classiques ou travaillés, comptez au grand minimum 13 €, pour une valeur sûre à chaque coup. Certes, l’endroit n’est pas donné, mais au vu du cadre peaufiné, de l’excellente musique live et du service impeccable (mis à part un service en salle beaucoup moins au point), les prix ne paraissent pas outranciers. En définitive, on recommande chaudement le Red Little Door les soirs de concerts — un seul par mois pour le moment, malheureusement. Le reste du temps ? Pourquoi pas, mais sans plus. De quoi encourager la direction à passer sur un rythme musical hebdomadaire.
Рекомендуемый